• Satin noir

     Satin noir


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    Mardi 23 Août 2022 à 14:57

    Et si l’on dansait !

     

    Et si l’on dansait ?

    Mathieu interrompt la colonne de chiffres qu’il résolvait sur son ordinateur. Dorothée vient de pénétrer dans son bureau sans frapper comme à l’habitude, se permet de l’interrompre dans ses calculs sans s’excuser comme à l’habitude, et lui propose une idée idiote et tumultueuse…

    Comme à l’habitude.
    Il sauvegarde d’abord.
    Puis lève le nez.
    Crispé.

    Dorothée, te serait-il possible de…
    Il reste bouche bée.

    Dorothée porte une tunique en dentelles transparentes qui ne cache ni ses formes ravissantes, ni son ensemble de dessous noirs, ni le porte-jarretelles aux bas noirs ajustés.

    Qu’est-ce que c’est que cette tenue encore ?

    Et si l’on dansait ?

    Ecoute Dorothée, d’abord ce n’est pas le jour, je prépare cette réunion de conseil d’administration pour demain et de plus, pour sortir, cette tenue n’est pas vraiment… adaptée. J’ai une réputation à préserver, mon chaton. Dans les affaires, c’est une question de vie ou de mort.

    Dorothée s’assied sur une chaise, tend sa jambe en l’air en position de danseuse comme elle sait faire, comme il adore, et lui décoche cette moue boudeuse qu’il connait bien.

    Il se sent faiblir.

    Bon d’accord, pas ce soir car je n’ai pas le temps, mais demain, après ma réunion, nous sortirons où tu voudras comme tu voudras… avec une autre tenue.

    Non.

    Elle balance ses jambes en rythme, joue des épaules, des fesses, un côté Crazy-Horse qui lui rappelle des souvenirs.

    Mais pas chez lui.

    Comment ça non ?

    Non, comme je te le dis. J’en ai assez de tes demains ou après-demains systématiques, assez de tes occupations perpétuelles, de tes affaires. J’ai envie de danser et tout de suite, et d’ailleurs j’ai tout organisé.

    Comment ça, tu as…

    Un riff de batterie, une envolée de cuivre, et brusquement une musique de sauvage envahit la pièce à pleines enceintes tonitruantes. Des hurlements, des cris, des rires, comme s’il y avait une foule dans la pièce d’à côté.

    Dorothée se lève d’un bond joyeux, se dirige en quelques pas chassés vers la porte.

    Je leur avais demandé de ne pas faire de bruit avant que je n’entre dans ton bureau. T’as vu comme ils sont choux.
    Dans un sourire, elle disparaît.

    Mathieu se précipite, ouvre à son tour.

    L’horreur.

    Son salon, son salon du quinzième aux meubles graciles et chers, envahi d’une foule compacte de traine-lattes chevelus, sautillants, elles maquillées comme des voitures volées, eux caparaçonnés de petits costumes à trois balles aux couleurs voyantes. Des verres de whisky partout, SON whisky. Du caviar en bols de faïence, SON caviar. SA chaine hifi qui balance cette bouillie informe. Et, flottant au dessus de ce bordel, une lourde fumée de tabac ou d’autre chose.
    Dorothée, ravie, danse, rit, lui crie…

    Surprise ! Une petite fête chez nous rien que pour nous.

    Il craque.

    Il hurle sans pouvoir se retenir.

    Dehors ! Dehors ! DEHORS ! Tout le monde dehors, barrez-vous, cassez-vous, débarrassez-moi le plancher de vos carcasses pourries. DEHOOOOOORS !

    Il se précipite, éteint la musique, attrape un balai, pousse les pique-assiettes vers la porte à grands coups de gueule et de moulinets vengeurs.
    Ils fuient, glapissent, se jettent en tas dans l’escalier.

    Moins d’une minute plus tard, il claque la porte.

    Il est seul.
    Silence.

    Un grand moment de volupté au milieu du salon dévasté mais vide.

    Soupir.

    Il vérifie d’un coup d’œil l’ampleur des dégâts. Saleté repoussante mais aucun meuble cassé semble-t-il. Mathilde, la femme de maison, remettra tout ça en ordre tranquillement.

    Bien !

    Ceci dit, il lui semble qu’il manque quelque chose.

    Aïe !

    Où est Dorothée ?

    Son portable vibre.

    C’est mieux comme ça espèce de salaud ! Je viendrai chercher mes affaires la semaine prochaine et je t’enverrai mes avocats par la même occasion.

    Mais non !

    Ce n’est pas ce qu’il voulait dire…

    Pourquoi les femmes ne comprennent elles jamais rien ?

    Epaules tombantes, Mathieu revient vers son ordinateur. Revenir à des choses sensées, finir au moins ses comptes pour le conseil d’administration, il tentera de rattraper le coup avec Dorothée à tête reposée.

    Ordinateur, écran noir.

    Reaïe !

    Planté. Erreur critique. Un court message lui annonce que le travail n’a pu être sauvegardé, que ses fichiers sont sans doute gravement endommagés.

    Il revient dans le salon, se jette dans un fauteuil qui craque dangereusement sous son poids, attrape un verre de whisky qui trainait, boit une longue gorgée, lance la chaine à plein volume avant de boire une seconde longue gorgée.

    Noyé dans les décibels qui font trembler les murs, Mathieu sourit niaisement, le cerveau vide.
    Comme son ordinateur.

    Il y a des jours comme ça.

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